mardi 26 août 2014

Remue-méninges : Le peuple et la démocratie du même pas


Le peuple et la démocratie du même pas

Dans le hall de l’université Stendhal de Grenoble-Saint Martin d’Hères, ou sur le campus en profitant du soleil et en sirotant café ou cola bio, les participants aux différents débats du Remue-Méninges échangent pendant la pause leurs impressions. Un troc un peu frustrant car il apparaît toujours qu’on vient de rater quelque chose. Comment en effet choisir judicieusement entre un grand débat sur « L’écosocialisme, nouvelle doctrine de l’émancipation humaine », et celui de « Jaurès à Robespierre, histoire et hégémonie culturelle » ? Peut-être en optant pour le troisième, « L’appropriation populaire du politique en Espagne ». Il s’agit de toute façon des pièces du même puzzle. Si on combine ce dernier choix - au hasard - avec la « Réforme territoriale ou la 6e République » remettant à une autre fois « Les multinationales contre le peuple : non au GMT » ou « Quelles mesures d’urgence pour l’emploi », on parlera beaucoup de démocratie : comment la sauvegarder, la promouvoir avec des problématiques parfois différentes, parfois cousines des deux côtés des Pyrénées.
Inigo Errejon est l’intervenant idéal pour analyser l’excellente surprise de Podemos. Il en a été le directeur de campagne pour les dernières européennes. Le mouvement créé en janvier dernier, transformé en parti en mars a totalisé 1,3 million de voix et obtenu 5 sièges. Il s’est imposé en quatre mois d’existence comme la cinquième force politique du pays. Depuis les élections de mai, des études l’ont même hissé à la 3e voire la seconde place. Un premier congrès devrait se tenir en octobre mais dans l’intervalle de trois semaines - sans attendre l’élaboration de statuts -, les adhésions se sont multipliées pour atteindre la barre des 100 000 adhérents…

Pour Inigo Errejon, ce succès est le fruit d’une reformulation stratégique. La décomposition de l’ordre politique espagnol a bousculé le positionnement de l’opposition. La conception selon laquelle il faut capitaliser par les élections l’accumulation lente et progressive du mécontentement n’a plus cours. « Nous n’aurions pas existé sans le mouvement des Indignés. Nous sommes allés dans les rues, sur les places, à la rencontre des gens pour comprendre ce qu’il se passait. Et nous nous sommes adaptés » en privilégiant tous les processus de construction populaire. Les élections ont été un moment de ce processus et non pas le reflet d’un rapport de forces antérieur. D’ailleurs l’analyse de l’électorat de Podemos montre selon Inigo Errejon que ce sont les électeurs des partis traditionnels qui auraient massivement apporté leur suffrage. Il s’agit donc de leur permettre de se constituer en force autonome, démocratiquement en redonnant un sens concret à des termes tels que « démocratie », « nation »… Les cercles thématiques (travail, éducation, santé…) ont explosé et sont loin d’être tous recensés. Ils sont très hétérogènes mais ils ont en commun la qualité de redonner un sens à l’implication politique. « On n’arrête pas de créer des trucs techniques sur Internet dont s’emparent les gens. Pour voter, un portable suffit. C’est un pari risqué mais on voulait prendre des décisions en contact avec les adhérents et ils n’ont pas tous la possibilité d’être présents à tel moment ou de donner plusieurs heures par semaine. »
La bataille pour les élections européennes a recréé des espaces dont Podemos veut occuper le centre avec pour perspective, gagner les élections et contribuer à (re)construire un peuple. Le terme de Podemos (nous pouvons) est en soi un programme, celui de redonner confiance dans une alternative que les néolibéraux et les sociaux-démocrates déclarent à chaque occasion impossible.
Ce lien entre peuple et démocratie est également le fil rouge du débat a priori technique sur la « Réforme territoriale ou la 6e République ». Elle est encore assez imprécise mais la philosophie de ses grandes lignes semble suffisamment claire. Globalement, comme l’a exposé Nicolas Kada, professeur de droit public et directeur du Centre d’Etudes et de Recherche sur le Droit, l’Histoire et l’Administration, il s’agit de réduire les régions de 22 à 13 au 1er janvier 2016, d’imposer une intercommunalité (avec une population minimum de 20 000 habitants au 1er janvier 2018 contre 5 000 aujourd’hui) et de supprimer les assemblées départementales que sont les conseils généraux en 2020. Ce qui s’apparente à un dépeçage lent, mais persévérant de la démocratie locale.
Les intervenants exprimeront tour à tour leur perplexité devant les arguments avancés pour justifier cette réforme, que ce soit ceux relatifs à la taille (soit-disant trop petite) des régions ou le coût fantasmé du « mille-feuille ». Cécile Cuckerman, sénatrice PCF, souligne elle que, significativement, le mot décentralisation a peu à peu laissé place à celui de « réforme territoriale » dans le discours gouvernemental. Ce changement de vocabulaire est à prendre au pied de la lettre : la décentralisation induit un rapprochement du pouvoir et du citoyen totalement en opposition avec une réforme du territoire qui tend à éliminer en les diluant dans de vastes ensembles par ailleurs loin d’être homogènes les pouvoirs locaux définitivement hors de portée du citoyen lambda. Les répercussions seront sensibles à tous les niveaux de la vie quotidienne de chacun avec la disparition de services publics et leur remplacement partiel par le privé si rentabilité il y a.
Pascal Troadec (maire adjoint PS) voit dans l’opération de cette « mère des réformes » selon Valls la volonté technocratique de substituer au champ du politique celui de l’administratif. Mathieu Dupas qui enseigne le droit constitutionnel et parlementaire dans le même esprit souligne que cette réforme vise à casser l’idéal républicain. En ce sens, il s’agit bien d’une réforme (dé)structurante dont le but ultime ne pourra être que la suppression pure et simple de la commune qui est la cellule sociale démocratique de base. Face à cette entreprise dévastatrice, la 6e République s’impose avec une nécessité accrue. En Espagne, en France, et la liste pourrait s’allonger, selon des modalités différentes, la démocratie et la reconstruction des peuples est à l’ordre du jour et marchent du même pas.

Jean-Luc Bertet

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